L’école est en péril. Au sein de cultures très différentes, des enseignants, élèves et parents sonnent l’alarme. Un sentiment de frustration s'installe dans les écoles, qu’elles soient publiques ou privées, et ce dans des pays développés comme en développement et sans distinction d'âge, de sexe, de religion, ou encore d’origine ethnique.
Où est donc le problème ?
Désormais, nous sommes plongés dans l’ère numérique, marquée par l’automatisation et l’arrivée de l'intelligence artificielle.
Petit à petit, nous réalisons que notre époque subit des cycles de changements, et qu’ils sont de plus en plus rapides. Cette anticipation fait frémir nos politiciens et économistes les plus affûtés, alors que les responsables des institutions du troisième cycle se démènent pour trouver des réponses compétitives.
Si le problème technologique et numérique s’avère compliqué à gérer pour nos dirigeants en ce qui concerne les citoyens adultes, un fardeau tout particulier pèse sur ceux qui travaillent avec les enfants. En d'autres termes, les personnes à qui nous confions notre avenir.
Serez-vous vraiment surpris d'apprendre que les enquêtes révèlent sans cesse que les enseignants prévoient de démissionner en très grand nombre, que leur motivation est affectée par l'augmentation de la charge de travail et par le manque apparent de respect pour ce qu'ils font ?
Alors que nous tenons à un niveau d'exigence toujours plus élevé, les ressources ne suivent guère. Nos enseignants doivent être particulièrement motivés pour vouloir guider nos enfants sur le chemin de la maturité.
Comment préparer les jeunes à un monde structuré par les réseaux sociaux, les emplois basés sur des algorithmes et d'innombrables autres réalités précaires ? Pourquoi un enseignant du primaire ou du secondaire, généralement formé aux sciences humaines et matérielles, équipé d'une boîte à outils issue de siècles de théorie pédagogique, aurait-il une réponse toute prête aux effets d'appareils dont les concepteurs admettent régulièrement qu'ils sont conçus pour créer une dépendance aussi forte que possible ?
Outre la perturbation numérique, nous devons faire face à d'autres réalités : si l'école et l'éducation sont présentées comme un droit pour "tout le monde" dans l'article 26 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, ces belles paroles sont mises à mal par le désenchantement des enseignants et des élèves, les inégalités et le poids de traditions dans de multiples pays.
Récemment, les médias ont dévoilé combien l'école est menacée pour les jeunes filles d'Afghanistan, mais nous pouvons trouver de plus en plus d’exemples d'inégalités dans les nations occidentales, les démocraties riches et les États-nations stables. La question qui se pose est donc : qui a accès à quel type d'éducation ?
Par exemple, le système "méritocratique" de la France identifie et récompense les surdoués très tôt - en théorie - mais de nombreuses recherches montrent que les attentes et les préjugés véhiculés dans les salles de classe affectent injustement les performances, dévalorisant les individus et brouillant leur potentiel. Dès lors, disent certains, pourquoi ne pas au moins remettre cette idée en question ?
Il y a également un problème omniprésent d'engagement - un sentiment que l'école, alors même qu'elle est gratuite et relativement bien dotée en ressources, ne vaut pas la peine d'être terminée : ce qui résulte en un décrochage de plus en plus massif avant la fin du secondaire.
L'article 26 stipule, après l'affirmation du droit à l'éducation, que : "L'éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l'enseignement élémentaire et fondamental. L'enseignement élémentaire est obligatoire."
En Union Européenne, où nous avons commencé nos investigations autour de l’école, le problème de l'abandon scolaire est considéré si grave qu’il donne lieu à des études scientifiques et des recommandations politiques.
Des tendances préoccupantes sont visibles entre les sexes dans les pays occidentaux. Les garçons sont plus susceptibles de quitter l'école prématurément et les jeunes hommes moins susceptibles de fréquenter le troisième cycle.
Lorsque le fardeau d'une éducation "complète" était justifié par la promesse d'un revenu stable et d'une expérience satisfaisante du contrat social, c'était une chose. Mais alors que la société renforce la concurrence tout en ne promettant que plus d'incertitude, où est l'incitation à suivre une scolarité traditionnelle ?
En arrière-plan, comme une ombre projetée par les écrans séduisants de nos nouvelles technologies, se profilent les questions plus sombres de l'exploitation et de la santé mentale. Le problème de savoir si ces outils ne sont pas, outre distrayants, fondamentalement dangereux. Ainsi, on constate que les filles souffrent indûment, avec des taux croissants, de dépression et d'idées suicidaires liés aux cultes de la beauté impossible diffusés par les réseaux sociaux. Cette tendance ne cesse de s'accentuer, de même que les menaces bien connues de cyberintimidation et de cyberséduction.
Pas étonnant que le gouvernement français ait cherché à interdire les smartphones dans les écoles en 2018. Sachant que 90 % des adolescents français (comme dans la plupart des démocraties occidentales) possèdent un smartphone, il n'est pas surprenant que les nouvelles règles soient difficiles à appliquer et que leur efficacité soit débattue depuis leur introduction.
Les problèmes, qu'ils aient été créés ou exacerbés par la technologie, continuent de se multiplier...
La sonnette d’alarme est tirée, maintenant que faire ?
Réalisé par le cinéaste Martin Meissonnier, Le bonheur à l'école a pris la forme d’une réponse proactive à l'atmosphère de fatigue et de désenchantement que des histoires comme celles-ci ont laissé s'installer dans nos écoles.
Nous avons pensé qu'il devait y avoir des poches d'espoir, des exemples d'enseignants et d'apprenants qui construisent un avenir avec la résilience et la créativité humaines.
Qu’il s’agisse d'une école entière, d'un enseignant ou simplement d'un moment particulier dans une classe - l'idée est de capturer ces moments et de les partager, de créer une boîte à outils dont d'autres enseignants et apprenants pourront profiter tout en trouvant des idées et de l'inspiration.
Dès les premiers jours de recherche pour lebonheuralecole.org, ces espoirs se sont avérés fondés.
Plus l’on cherche, plus on découvre des anecdotes qui dessinent comment l'école peut être réinventée et prospérer malgré ces conditions déroutantes. L'ingéniosité humaine ramène non seulement l'attention dans la classe, mais encore la satisfaction et l'optimisme.
Par exemple Kiran Bir Sethi, ex-designer indienne reconvertie, a entrepris de créer une toute nouvelle approche éducative après avoir été désenchantée par la scolarité traditionnelle de son fils.
Des pays comme l'Estonie, au nord de l'Union Européenne, prennent la complexité de la sécurité en ligne et de la culture numérique tellement au sérieux qu'ils sont décrits comme la "société numérique la plus avancée du monde" par le magazine Wired, une réussite qui trouve son origine dans leurs politiques d'enseignement des technologies de l'information, y compris les mesures visant à encourager les filles à s'engager dans les domaines STEM.
L'école Coconut au Cambodge, se démarque par son fondateur qui a inversé les nombreux problèmes de sa communauté (absence de structure, manque de fonds, environnement pollué) pour en faire une solution unique : les enfants collectent des objets recyclables et construisent leur propre école dans la forêt.
Damian Gsponer, fondateur de l'école Bratsch dans le Haut-Valais, en Suisse, a exprimé l'un des thèmes centraux de la pédagogie de manière simple. Il parle devant nos caméras de la tentative de son école de donner aux jeunes apprenants des compétences de base pour le numérique, ainsi que des valeurs humaines :
"C'est comme apprendre à nos enfants à écrire. Ils peuvent utiliser cette compétence pour envoyer des messages cruels. Il est préférable qu'ils ne le fassent pas ; si nous leur apprenons à écrire avec l'idée qu'ils peuvent aider les autres, alors cette aptitude peut être utilisée pour faire le bien."
La pandémie mondiale et la crise dans les écoles nous ont rappelé la brièveté de l'enfance et l'importance des véritables rencontres pour renforcer notre humanité commune. Nous avons voulu mettre côte à côte toutes ces petites histoires de réussites pour transmettre l’idée de l'éducation qui se réinvente et prospère.
Nous avons constaté plus souvent qu’à notre tour qu’une simple expérience de bonheur est l'antidote le plus puissant au désenchantement, en particulier quand nous la vivons dans notre prime jeunesse. C'est pourquoi nous avons intitulé notre plateforme Le bonheur à l’école.
Les dernières phrases de l'article 26 font écho aux propos de Damian sur la transmission de valeurs en même temps que de compétences. Comment nourrir le bonheur à l'école dans la société en général ? Très souvent, il s'agit simplement de savoir dans quelle mesure l'école peut façonner notre capacité à fonctionner en tant que citoyens.
"L'éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales... Elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l'amitié..."
Dans cet esprit, nous avons cherché des histoires qui ne se contenteraient pas de présenter des personnes et des lieux qui ont réussi à concrétiser ces idéaux au niveau local, mais qui proposeraient des stratégies pour aider les autres à y parvenir également. Avec lebonheuralecole.org, nous espérons jeter les bases d'un nouveau forum pour les enseignants et les élèves du monde entier.
La création de lebonheuralecole.org nous a permis de nous sentir plus optimistes quant à notre avenir commun.
Mais le chemin à parcourir sera long.